Histoire
Malgré le départ d’une importante portion de ses élites et de dix à quinze-mille qui optent pour la France, la ville continue de s’agrandir et de se transformer, dominée par la personnalité de son évêque français Paul Dupont des Loges qui est élu député au Reichstag et dont il va devenir l’un des « députés protestataires ». L’émigration de Mosellans vers la France, en particulier vers Nancy et Paris, commence dès l’armistice et se poursuit pendant une vingtaine d’années. La germanisation de la ville et de ses habitants, inexorable du fait du renouvellement des générations et de l’installation d’immigrés allemands, se fait progressivement. Ces derniers deviennent majoritaires à Metz, dès les années 1890.
Après la construction de la nouvelle gare en 1907, le réseau ferroviaire messin est modifié. Deux gares supplémentaires sont mises en service sur l'agglomération pour desservir les quartiers Est et Nord: la gare de Metz-Abattoirs, rebaptisée plus tard « Metz-Chambière », avenue de Blida, et celle de Metz-Nord. De nouvelles lignes sont mises en place en 1908. En 1910, le maire Paul Böhmer peut écrire : « Une promenade à travers la ville convaincra chacun, qu’à côté du vieux Metz pittoresque de l’époque française, un Metz moderne est en train d’être érigé, qui doit sa création à l’initiative et la force de travail allemandes. »
Pour ce point stratégique majeur de la défense de l’empire — il s’agit d’un carrefour routier et ferroviaire de premier ordre — l’état-major allemand poursuit les travaux de fortification entamés par Napoléon III sous le Second Empire. Dès 1871, le système défensif de la ville avait profondément été corrigé, avec la construction d’une ceinture de forts éloignés de type « von Biehler » autour de l’agglomération, conformément au développement des techniques d’assaut. Lorsque le comte Gottlieb von Haeseler prend le commandement du 16e corps d’armée en 1890, Metz est devenue une place forte inexpugnable. Elle se présente sous l’aspect d’une ville de garnison allemande animée où se côtoient des Bavarois aux casques à chenille, des Prussiens et des Saxons aux casques à pointe et aux uniformes vert sombre, ou encore des Hessois aux uniformes vert clair. Cette garnison allemande oscille entre 15 000 et 20 000 hommes au début de la période, et dépasse 25 000 hommes avant la Première Guerre mondiale. Au hasard des mutations, les plus grands noms de l’armée allemande comme Göring, von Ribbentrop ou Guderian sont passés par Metz, acquérant la conviction que la ville était définitivement allemande.
Aux postes de commandement, beaucoup d’officiers allemands appartenant à l’aristocratie militaire prussienne sont affectés à la place forte de Metz, en particulier dans le XVIè corps d’armée. Ces officiers de carrière, avides de fêtes et de spectacles de qualité, s’installent avec leur famille à Metz. Ils participent ainsi à la vie culturelle locale et animent la vie mondaine de la cité : dans les salons ou à l’Opéra-théâtre de Metz, où l’on joue évidemment les œuvres de Wagner, on rencontre alors les Richtoffen, les Salmuth, les Gemmingen-Hornberg, les Zeppelin-Aschhausen, les Winterfeld ou les Bernuth. Les civils ne sont pas oubliés. Les 1er et 2 septembre 1906, Metz reçoit ainsi le spectacle Wild West de Buffalo Bill, pour quatre représentations.
Chaque année, l’empereur Guillaume II vient dans la cité lorraine, pour inspecter les travaux d’urbanisme et ceux des fortifications de Metz. Ses visites sont, pour la ville de Metz, l’occasion d’organiser des parades et des fêtes dignes d’un hôte impérial. Au cours d’une de ses visites, il déclare ainsi : « Metz et son corps d’armée constituent une pierre angulaire dans la puissance militaire de l’Allemagne, destinée à protéger la paix de l’Allemagne, voire de toute l’Europe, paix que j'ai la ferme volonté de sauvegarder. » En 1914, Metz, que survolent quotidiennement les zeppelins de Frescaty, est devenue la première place forte de l'Empire allemand. La ville, bien défendue, ne sera pourtant pas épargnée par les combats de la Première Guerre mondiale.
À l'aube de 1914, les Allemands achevèrent d’abord les travaux que les Français n’avaient pas terminés, notamment sur les forts extérieurs. Et comme les vieilles fortifications de Vauban ne pourraient plus servir à grand-chose dans les conflits à venir, elles furent détruites, tandis que le périmètre de la place fut revu et considérablement augmenté. A partir de 1890, un ensemble de fortifications sur soixante-dix kilomètres de circonférence fut créé, appuyé sur des ouvrages cuirassés (les Festen) orientés vers la frontière française et la place de Verdun. Le fort Lothringen couvrait par exemple cent quarante-quatre hectares et le Kronprinz cent trente-trois. Thionville, Morhange, Dieuze, Sarreguemines, Sarrebourg, Phalsbourg, Saint-Avold, Bitche faisaient partie de ce large dispositif. Ces petites places furent elles aussi aménagées et dotées de garnisons. Les travaux durèrent près de vingt-cinq ans. L’armée du Reich, soit essentiellement des troupes prussiennes et bavaroises, en profita pour prendre partout ses quartiers. Ce renforcement était notamment la conséquence du plan Schlieffen : Metz devait constituer un molle de résistance contre une attaque française vers le Rhin au moment où l’offensive allemande se déroulerait à travers la Belgique. Il y eut en permanence dix mille hommes stationnés à Metz même et trois à quatre mille de plus dans les communes immédiatement limitrophes. Ces effectifs montèrent à vingt-cinq mille en 1914 et formaient une partie du XVIè corps. A quelques encablures des faubourgs, le terrain d’aviation de Frescaty avait été aménagé pour accueillir certes des avions, mais aussi une « escadrille » de Zeppelins.
Pour compléter cette forteresse grande comme deux arrondissements, des voies ferrées furent construites et des routes aménagées. De ces infrastructures créées à des fins mi-civiles mi-militaires, il reste aujourd’hui un témoignage éclatant : la gare centrale de Metz, dûe à l’architecte berlinois Jürgen Kröger. Elle fut mise en service en 1908 et réellement terminée au début de la guerre. Guillaume II avait voulu en faire autant un outil pratique (ses quais hauts pour les hommes et bas pour le matériel permettaient de débarquer plusieurs divisions en une journée) qu’un témoignage de son règne et de l’affection qu’il éprouvait pour la ville. L’architecture en fut particulièrement soignée autour de trois parties représentant la paix, la guerre et Dieu : bas-reliefs, sculptures, arches, portes monumentales, tour centrale, vastes halls et couloirs, et même un confortable salon pour le Kaiser desservi par un escalier monumental et orné d’un vitrail représentant Charlemagne. Barrès n’aimait pas cet édifice : « On y salue une ambition digne d’une cathédrale, et ce n’est qu’une tourte, un immense pâté de viande » (Colette Baudoche). Elle fait aujourd’hui partie de l’identité (et de la fierté) messine. Avec une telle gare, le XVIè corps était capable de faire franchir la frontière française à trente-cinq mille hommes, huit heures après en avoir reçu l’ordre.
Avec la montée de la tension franco-allemande, les bonnes manières observées par l’ensemble des institutions du Reich à l’égard des populations d’origine française du Reichsland Elsass-Lothringen prirent fin brutalement. Depuis l’assassinat de François-Ferdinand, l’ambiance s’était peu à peu alourdie : le pressentiment de la catastrophe se lisait sur les visages, remarquèrent les témoins, tandis que les uniformes chamarrés étaient rapidement remplacés par les tenues de combat. Le 31 juillet 1914, Guillaume II proclama « l’état de danger de guerre » (Kriegsgefahrzustand) puis l’état de siège dans le Reich. Partout, l’autorité était confiée aux militaires, sous la direction des généraux comandant les corps d’armée. A Metz, ce rôle échu au général Ernst von Owen. Plutôt que d’avoir à réprimer par la suite des manifestations ou même des tendances francophiles de la population, il préféra prendre des mesures immédiates. Dès le 1er août, comme l’y autorisait une loi de 1851, il suspendit les libertés individuelles. Le couvre-feu et les restrictions de la liberté de circulation touchèrent tous les Messins. Des mesures plus draconiennes frappèrent les « suspects ». Les journaux indépendants en langue française furent interdits (le Lorrain, le Messin et le Courrier) et la censure préalable appliquée aux autres. L’administration réanima la Gazette de Lorraine (supprimée en 1908), qui devint l’organe francophone officiel à côté des germanophones Lothringer Zeitung et Metzer Zeitung. L’armée procéda à titre préventif à deux cents arrestations. Les députés jugés trop francophiles (Lévêque, Labroise, Zimmer et Hacspill), des journalistes, les dirigeants du Souvenir français et de la Lorraine sportive (deux associations considérées à juste titre comme des « faux-nez » de l’agitation pro-française) et diverses autres personnalités furent dirigés vers une forteresse proche de Coblence avant d’être dispersés dans d’autres points du territoire du Reich. Certains partisans du retour à la France, comme le chanoine Collin ou l’ancien député Max Jaunez, avaient quant à eux réussi à fuir. Sans être formellement interdits, les partis et syndicats furent invités à se mettre en sommeil. La hantise des autorités était l’espionnage pour le compte de la France, quitte parfois à tomber dans la paranoïa. C’est ainsi que l’adjoint de von Owen, le général Bodenhausen, menaça de faire fusiller douze otages si le conseil municipal de Metz ne publiait pas une déclaration de soutien au Reich. Le maire Foret se plia à cette exigence. Pendant toute la guerre, il se montra d’ailleurs loyal, lisant les communiqués de victoire depuis le balcon de l’Hôtel de Ville. Il alla même parfois trop loin, comme ce jour de mars 1916 où il annonça la chute de Verdun… qu’il dut démentir dans les heures suivantes. Cette loyauté allait lui coûter son poste, en novembre 1918.
Profitant de la guerre, les autorités allemandes mirent en œuvre un programme de germanisation forcenée qu’elles avaient semblé avoir abandonné depuis une vingtaine d’années : lutte contre la langue française (avec notamment le changement de nom des communes), surveillance du clergé catholique (malgré les protestations de l’évêque allemand Benzler), liquidation des derniers intérêts français, notamment dans les mines et la sidérurgie, spoliation des propriétaires immobiliers et revente de leurs biens à des Allemands, etc. Ce raidissement choqua jusqu’à des Allemands d’Allemagne : à la tribune du Reichstag, un député le qualifia de « régime de terreur ». Malgré cette dictature de quatre ans, il n’y eut pas d’actes notables de « résistance », terme qui serait ici évidemment anachronique. Le calme régna en ville, malgré les difficultés de la vie quotidienne et malgré l’activité de groupes affichant sans fard leur espoir d’un retour à la Mère-Patrie. Spécialiste de la Lorraine annexée, François Roth note que « la très grande majorité de la population est demeurée loyale à l’égard de l’empereur et de l’Allemagne », même si un prêtre bavarois de passage estimait : « Un regard rapide jeté sur Metz croirait y reconnaître la vie allemande ; mais, en réalité, le cœur et la vie, les goûts et les sympathies des vieux habitants sont tournés vers la France ».
Pendant quatre ans, même si elle s’en approcha parfois, la guerre resta loin de Metz. La forteresse créée par les stratèges allemands resta une place défensive et de deuxième ligne. Pendant les premières semaines du conflit, l’offensive française atteignit bien Morhange mais les troupes allemandes reprirent l’avantage et ramenèrent leurs adversaires jusque dans la vieille Lorraine (10-21 août 1914). Metz devint alors une position militaire hybride : camp retranché autant que magasin-hôpital des armées allemandes du sud. On y percevait le tonnerre du canon, sans doute espérait-on chez les francophiles l’irruption de colonnes libératrices. L’aérodrome de Frescaty et la gare furent bombardés, la dernière fois le 10 novembre 1918. Les gros canons des forteresses entèrent parfois en action. Des lignes françaises, on apercevait parfois Metz, ce que le général de Lardemelle, Messin d’origine, nota dans ses Mémoires : « L’attraction de notre secteur est la vue de Metz ; par temps clair, on distingue à l’œil nu la masse de sa cathédrale, les flèches de ses églises, les cheminées de ses usines et le grand hangar du champ d’aviation de Frescaty. C’est un spectacle encourageant et qui rend le moral aux neurasthéniques […]. Successivement, la plupart des ministres ont fait le pèlerinage ». Et pour le reste : rien, ou presque. Même en 1918, on ne se battit pas : l’attaque de cette partie du front avait été programmée par les alliés pour le 14 novembre. L’armistice intervint troisjours trop tôt.
Metz n’en connut pas moins les malheurs de la guerre. La gare centrale montra qu’elle avait été bien conçue. Les trains montant et descendant du front s’y croisaient. Les blessés y étaient pris en charge par des volontaires. Parmi eux, Herta Strauch, jeune berlinoise immigrée, faisait office d’aide-soignante. Elle a laissé de ce moment un témoignage poignant dans un roman qui connut un succès quasi-mondial (Catherine soldat, 1930, voir encadré), qu’elle signa d’un pseudonyme français : Adrienne Thomas. Ces hommes meurtris qu’elle soigna étaient des soldats allemands : leurs souffrances et leurs horribles mutilations étaient celles d’êtres humains. Au-delà de ces pages « de guerre », Herta décrivit aussi le fossé qui se creusait inexorablement entre les « vieux » Messins et les autres, ceux qui n’étaient là que depuis quatre décennies. Les premiers boudèrent les expositions de propagande, commentèrent les journaux en allemand avec ironie, parlèrent parfois hautement français par provocation. Les second furent nombreux sur l’Esplanade, le 21 mars 1916, pour l’inauguration en grande pompe de la statue du Feldgrau in Eisen, statue d’un soldat allemand érigée en hommage à l’effort de guerre du Reichsland. Stauch-Thomas décrivit aussi la dure réalité de la vie en ville pendant le cauchemar. Ils furent durs, en effet, ces hivers de guerre, particulièrement celui de 1916-1917. Les mines étaient proches et on manquait pourtant de charbon. La campagne mosellane était productive et il n’y avait pas de quoi nourrir correctement la population : chaque civil avait droit à 300 grammes de pain par jour puis 250 à partir du printemps 1917. Un Office du ravitaillement avait été créé et prit des mesures bien dérisoires au regard des besoins : récupération des têtes de harengs pour les presser et en faire de l’huile, ramassage des orties pour remplacer le coton, collecte des épluchures de pommes de terre, des chiffons, des boîtes de conserve vides, etc. Les salaires augmentèrent… mais on ne put rien acheter car les prix, eux, s’étaient envolés. L’économie du Reichsland s’effondra et avec elle le commerce messin.
La « vraie » guerre qui s’était tenue éloignée de Metz pendant quatre ans s’en rapprocha en quelques semaines, à partir de l’été 1918. Les nouvelles de l’armée allemande en Picardie, en Flandres et en Champagne étaient mauvaises (printemps 1918), puis on sut que la contre-offensive de Foch était un succès et que les Américains du général Pershing avaient réduit le saillant de Saint-Mihiel. Le moment du coup de grâce était venu et l’Alsace-lorraine devait en être le théâtre. La 10è armée, celle du général Mangin, avait pour mission de percer du côté de Delme et Château-Salins. Metz serait contournée, investie, libérée ! L’armistice intervint avant l’attaque. Depuis quelques jours, la garnison de Metz connaissait la même agitation que bien d’autres unités et places allemandes : des marins mutinés de Kehl étaient arrivés en ville, un conseil des ouvriers et soldats avait été formé et le drapeau rouge hissé sur l’Hôtel de Ville.
Le conseil était pourtant modéré. Il s’entendit avec la municipalité de Foret pour maintenir l’ordre, tandis que l’armée régulière allemande quittait la ville. Les Messins d’origine allemande commençaient aussi à fuir. D'autres (ils étaient tout de même 20 000 !) se terraient. Dès le 17 novembre, le conseil des ouvriers et soldats plia bagages. Le jour même, Mangin avait envoyé à Metz les colonels Matter et Havard pour préparer l’entrée des troupes françaises. Le premier prit la tête du gouvernement militaire. Le second se mit à la disposition de Nicolas Jung qui remplaçait Foret démissionnaire et, de toute façon, démissionné. Les premières patrouilles françaises furent accueillies dans le délire qu’on peut imaginer. Le tricolore remplaça en quelques heures le rouge du Soldatenrat. Le général Maud’huy, lui aussi messin, fut nommé gouverneur militaire. Tout était prêt pour le jour de l’entrée officielle de l’armée de Mangin. Pour faire place nette, les signes impériaux furent enlevés et les statues (dont le Feldgrau) déboulonnées.
A la tête de deux divisions, Mangin prit définitivement possession de Metz le 18 novembre. Le lendemain, Pétain arriva, défilant de la porte Serpenoise à la place d’armes. La foule était peu compacte car une moitié de Metz, celle des Allemands, était restée chez elle. Cela étant, les Vive la France ininterrompus, les Marseillaises vibrantes ne manquèrent pas. Les vins d’honneur furent arrosés et les nuits courtes. Deux jours plus tard, les premiers fonctionnaires français descendirent du train pour prêter main forte au commissaire de la République nommé : Léon Mirman. Puis arrivèrent Poincaré et Clémenceau, le 8 décembre.
Flanqués d’un aréopage d’officiers supérieurs français (Foch, Joffre, Gouraud, etc.) et alliés (l’anglais Haig, l’américain Pershing, l’italien Albrici, le belge Gillain, etc.), ils furent eux aussi follement acclamés. Avant le défilé des troupes, le président de la République remit son bâton de maréchal à Pétain, sur l’Esplanade, face à la statue du maréchal Ney. Ce jour-là, transporté d’émotion, Poincaré serra Clemenceau dans ses bras et l’embrassa comme du bon pain. Le Tigre n’en revint pas. Dans son discours de l’Hôtel de Ville, le nouveau maire, Prevel, déclara notamment : « Les Allemands avaient parlé d’un plébiscite à faire en Alsace-Lorraine. Ce plébiscite est fait ! Les soldats français qui sont entrés chez nous sont là pour en témoigner ». Comme on le disait alors, Metz s’était donnée à la France et à la République, et sans retenue. Le retour au sein de la Nation qui se voulait à nouveau « grande » n’allait pas toujours se faire dans la facilité ou dans la joie.
(Texte de Thierry Lentz)
À la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, près de 30 % du territoire de la Moselle se trouve entre la ligne Maginot et la frontière franco-allemande. 302 732 personnes, soit 45 % de la population du département, sont évacuées pendant le mois de septembre 1939 vers des départements du Centre et de l'Ouest de la France, essentiellement la Charente, la Charente inférieure, la Vienne, la Haute-Vienne et enfin la Haute-Loire qui accueillent les mineurs. L'ordre d'évacuation pour les villages frontaliers comme Oberdorff est donné dès le 1er septembre. Parmi les quelque 300 000 évacués, 200 000 reviendront après la défaite.
De la déclaration de guerre de la France à l'Allemagne le 3 septembre 1939, à juin 1940, la « drôle de guerre » donne l’illusion à la France qu’elle tiendra ses positions grâce à la ligne Maginot et à la vaillance de ses troupes, et qu'elle obtiendra la victoire, comme en 1918.
Le 14 juin 1940, Metz est déclarée « ville ouverte ». Le 17 juin 1940, l’entrée des troupes allemandes dans cette ville marque le début d’une répression brutale, dont les Messins et les Mosellans ne se relèveront qu’en 1945. Le lendemain, le représentant de l’État à Metz, le préfet de la Moselle, est arrêté, signe de la défaite de la France. Quatre jours plus tard, la signature à Rethondes d’un traité d'armistice, entre la France et l’Allemagne, ôte les derniers espoirs aux Mosellans. Une semaine plus tard, le 29 juin, une antenne de la Gestapo s'installe à Metz.
Pourtant un mouvement de résistance, l'« Espoir français », se forme fin juin 1940, pour conjurer le mauvais sort et préparer le retour des troupes françaises. Il sera actif plusieurs mois. Dans le même temps les premières expulsions ont lieu dans la plupart des villes de Moselle. L’ancienne frontière de 1871 est rétablie le 25 juillet, marquant de facto l’annexion du département de la Moselle au Reich allemand.
Le Gauleiter Josef Bürckel prend ses fonctions le 7 août 1940 à Sarrebruck, en tant que nouveau chef de l'administration civile allemande en Moselle. Le « CdZ-Gebiet Lothringen » remplace officiellement le département de la Moselle. Le 8 août 1940, le préfet Bourrat est expulsé de ce nouveau « territoire allemand ». Les Messins résistent en silence et, à l'occasion de la fête de l'Assomption, organisent une manifestation francophile, place Saint-Jacques à Metz : la statue de Notre-Dame est fleurie aux couleurs tricolores. Les autorités allemandes réagissent immédiatement et expulsent le lendemain l'évêque de Metz, Mgr Heintz. Le 20 août, la Deutsche Volksgemeinschaft, « Communauté du Peuple allemand », est lancée en Moselle. Des milliers de Messins, fonctionnaires, patriotes ou anciens militaires, sont à leur tour expulsés.
Pour conjurer la résistance passive des Messins, le Gauleiter Bürkel organise en grande pompe son entrée officielle à Metz, le 21 septembre 1940. Il se fait remettre les clés de la cité par Roger Foret, le dernier maire allemand de la ville en 1918. Résidant principalement à Neustadt dans le Palatinat, il ne reviendra que rarement à Metz. Informé des contrariétés de Bürkel au sujet des Lorrains mosellans, Hitler donne des ordres pour que la Moselle soit « germanisée en 10 ans ». Une ordonnance porte donc le 28 septembre 1940 sur la germanisation obligatoire du nom des habitants mosellans. Les Mosellans étant toujours réticents face à l’occupant, 60 000 Mosellans francophiles ou francophones, jugés « indésirables », sont expulsés vers la France, du 11 au 21 novembre 1940. Le 30 novembre, la Moselle est officiellement annexée au Reich. Elle est réunie à la Sarre et au Palatinat pour former une nouvelle province allemande, le Gau Westmark.
Parallèlement à la politique d'expulsion mise en place l'année précédente, est mise en œuvre, dès 1941, une Volkstumspolitik, politique de germanisation, tendant à attirer en Lorraine des fermiers et des travailleurs Deutschstämmig, « de souche allemande », venus d’Allemagne ou d’Europe de l’est. Comme à l'Est, cette politique de repeuplement, ou Umvolkungspolitik, s'accompagne d'une politique d'exploitation systématique des ressources et s'appuie sur la création de nouvelles exploitations agricoles, fermes héréditaires pour les colons ou maisons d’ouvriers ou sur la création de villages répondant aux critères de l'ordre nouveau. C’est ainsi que dans le Saulnois francophone, trois projets pour des communes rurales voient le jour à Bellange, Dalhain et Vannecourt.
Le 25 juin 1940, un appel veut inciter les Mosellans à entrer dans l’organisation des Hitlerjugend. La germanisation des esprits se poursuit lentement, mais sûrement. Les Bund Deutscher Mädel (BDM) recrutent activement dans les écoles mosellanes. Le ministre de l'Éducation et de la Propagande du Reich, Joseph Goebbels, se déplace en personne à Metz en 1941, pour visiter les locaux du Metzer Zeitung, un journal de propagande incitant les Mosellans à adhérer aux organisations nazies. Le 16 mars 1940, Bürckel demande, aux Mosellans francophiles, une déclaration d'option. Pour échapper à cette pression quotidienne, 6 700 optants émigrent vers la France entre le 6 avril et le 3 mai 1941. La répression policière se fait plus brutale ; les premières condamnations prononcées par le Sondergericht, un tribunal spécial à Metz, tombent le 20 avril de la même année. Le 23 avril 1941 le décret d'incorporation des Mosellans, garçons et filles de 17 à 25 ans, dans le Reichsarbeitsdienst, « Service du Travail du Reich », siglé « R.A.D.», est publié en Moselle.
Le 18 juin 1941, un an après l’appel du général de Gaulle, des membres du mouvement « l'Espoir français » sont arrêtés. Le 7 juillet 1941 c'est au tour des membres de la filière de Sarrebourg-Saint-Quirin d'être arrêtés. Fin juillet, le groupe « Mario », qui comptera quelque 3 000 membres, se forme autour du résistant communiste Jean Burger. Le 28 juillet 1941, 101 prêtres sont expulsés de la Moselle vers la France.
En octobre 1941, les jeunes gens de la classe 1922 sont incorporés au « Service du Travail du Reich ». En novembre, c'est au tour des jeunes filles de la classe 1923 de l'être aussi.
En janvier 1942 le Grand Séminaire de Metz, devenu inutile, devient une prison pour la Gestapo. Le groupe gaulliste Dehran se crée le 30 janvier 1941, peu de temps avant le démembrement de la filière d’exfiltration de sœur Hélène Studler. Le 20 avril 1942 les jeunes gens de la classe 1923 et 1924 sont incorporés « R.A.D.». Le 23 avril, Bürckel annonce la création d'une province-frontière définitivement allemande. En juillet, les jeunes filles de la classe 1924 partent à leur tour pour le « R.A.D.». Pour faire face aux pertes allemandes de plus en plus nombreuses, le « Kriegshilfsdienst, ou « KHD », enrôle de force des auxiliaires féminines en Moselle, à partir du 16 juillet 1942 : les « Malgré-elles ». La police allemande arrête les membres d’un réseau d'évasion à Rombas, le 30 juillet 1942.
Alors que la Hitlerjugend devient obligatoire pour les jeunes mosellans dès le 4 août 1942, une ordonnance instituant le service obligatoire dans la Wehrmacht pour les Mosellans est promulguée le 19 août 1942. Le 29 août 1942, Bürckel annonce à Metz l'épuration politique et l'institution du service militaire obligatoire. Le même jour, une ordonnance, portant sur l'octroi de la nationalité allemande à l'ensemble des Mosellans, rend applicable l'incorporation des jeunes gens dans l'armée allemande, les futurs « Malgré-nous ». Les classes 1920-1924 sont immédiatement appelées sous les drapeaux. Tous les habitants de l'Alsace-Moselle annexée au IIIe Reich savaient que les nazis avaient déjà anéanti toute opposition au régime, en Allemagne. Refuser la germanisation et la nazification était donc suicidaire. Pourtant, certains choisissent de s'engager dans la résistance. D'autres demandent simplement à partir en France. Bürckel accède à leur désir le 5 septembre, avant de revenir sur sa décision, cinq jours plus tard.
Le procès des membres de « l'Espoir français » se tient le 30 septembre 1942. Les premières condamnations de Mosellans tombent dès le 2 octobre, pour faire sentir aux civils le pouvoir coercitif de l’Allemagne nazie. Les 17 et 18 octobre 1942 les premiers Mosellans des classes 1922, 1923 et 1924 sont incorporés dans l'armée allemande. Pour certains, cette période marque le début d’un cauchemar sans nom, qui se terminera brutalement sur le Front de l'Est ou dans les camps d’internement soviétiques, comme celui de Tambov.
En novembre 1942, les membres des filières de Forbach et de Lorquin sont à leur tour arrêtés. Cela rappelle aux Mosellans l’emprise impitoyable de la Gestapo sur la population civile.
Le 5 janvier 1943 les jeunes gens des classes 1920 et 1921 sont incorporés dans l'armée allemande. Poursuivant la politique de germanisation, plus de 10 000 patriotes ou résistants à l'annexion sont expulsés de leurs foyers et transportés, par la Gestapo, en Silésie, en Pologne, ou dans les Sudètes, entre le 12 et 28 janvier 1943. Ces familles d’agriculteurs, de travailleurs ruraux ou de mineurs, sont ainsi contraintes d’enrichir le Reich, sans espoir de retour.
Pourtant, les Mosellans continuent de se rebeller et le train qui conduit les recrues du RAD, de Sarrebourg à Sarreguemines, est mis à sac, le 18 février 1943. Le 12 mai 1943, alors que l'armée allemande capitule en Afrique du Nord, l’arrestation des passeurs du réseau de Rehtal allonge la liste des condamnations. Preuve de la révolte contre l’occupant nazi, 1 250 incorporables mosellans, ayant déjà servi dans l'armée française, se rebellent à Sarreguemines le 25 juin 1943. En juillet 1943, les hommes des classes 1914, 1915, 1916, 1917, 1918 et 1919 sont incorporées dans l'armée allemande
Le 20 septembre 1943, le chef du réseau Mario, Jean Burger, est arrêté. Il mourra en déportation sous les bombes américaines. Le 21 septembre, les membres de la filière de Sarreguemines sont à leur tour arrêtés. Pour faire face à l’insoumission, ou aux désertions des Mosellans, une ordonnance consacre la responsabilité collective du « clan », en cas de défaillance d'un appelé, dès le 1er ocotbre 1943. L’insoumis expose donc maintenant sa famille à des représailles implacables. Les membres de la filière "Marie Odile" sont arrêtés.
La répression se faisant plus brutale encore, le fort de Queuleu devient un camp d'internement en octobre 1943 et le camp de Woippy ouvre le mois suivant, en novembvre 1943. Le 15 décembre de la même année, les membres du groupe Derhan sont à leur tour arrêtés.
Le 9 février 1944, la Gestapo arrête de nouveaux membres du Groupe Mario. Le 3 juin 1944, l’armée allemande mène une expédition punitive contre le maquis de réfractaires de Longeville-lès-Saint-Avold. Le 7 juin, des représailles ont lieu à Audun-le-Tiche et Russange. L’étau se resserre inexorablement sur la population mosellane. Les 17 et 18 juin, des représailles sont décidées aussi à Porcelette, à Honskirch et à Vittersbourg, à l’encontre des insoumis mosellans.
À partir du printemps 1944, les bombardiers américains se succèdent par vagues au-dessus de la Moselle, faisant d’énormes dégâts collatéraux. Si les dégâts matériels sont des plus importants, les populations civiles sont durement touchées. Les dévastations sont généralisées dans la vallée de la Seille, entre Dieuze et Metz, et au nord d'une ligne Forbach-Bitche. 23 % des communes de la Moselle sont détruites à plus de 50 %, et 8 % des communes le sont à plus de 75 %. Ce funeste ballet aérien ne prendra fin, au-dessus de la Moselle, qu'en mars 1945, lorsque le département sera entièrement libéré.
A lété 1944, la roue du destin tourne en faveur des Alliés et des Mosellans. Les résistants Alfred Krieger et son adjoint Scharff en profitent pour structurer les FFI dans la région. Le 17 août 1944, le camp d'internement du fort de Queuleu est évacué dans la hâte. En septembre 1944, la brigade Alsace-Lorraine est créée. Elle permet aux Mosellans de se battre pour leur pays. Alors que la bataille de Metz commence, le camp de Woippy est abandonné, le 1er septembre 1944. Les 7 et 10 septembre, un habitant de Munster (Moselle) et un habitant de Lixheim sont exécutés. Le 20 septembre, le Gauleiter Bürckel déclare la partie sud-ouest du CdZ-Gebiet Lothringen « zone des armées ». Il est par conséquent interdit de franchir une ligne allant d'Apach au Donon, et passant par Sierck, Courcelles, Faulquemont, et Sarrebourg. Le Gauleiter Bürckel se suicidera peu après, le 28 septembre 1944.
Les bombardements des Alliés se poursuivent au-dessus de la Moselle. Dans la seule journée du 9 novembre 1944, pas moins de 1 299 bombardiers lourds B-17 et B-24 déversent 3 753 tonnes de bombes, de 1 000 à 2 000 livres, sur les ouvrages fortifiés de la Moselstellung et les points stratégiques situés dans la zone de combat de la IIIe armée. Du 7 au 13 novembre 1944, se déroule le procès des membres du « Groupe Derhan » à Bayreuth. Neuf jours plus tard, après trois mois de combats, la bataille de Metz prend fin. La ville est libérée le 22 novembre 1944, après quatre ans d’annexion. Les combats se poursuivent maintenant à l'Est du département, sur la Sarre.
Fin décembre 1944, l'épuration politique s'organise en Moselle. Pas moins de 150 Allemands sont arrêtés dans le département et sont conduits au fort de Queuleu.
Dans la première quinzaine de janvier 1945, 700 autres Allemands sont arrêtés en Moselle et envoyés au fort de Queuleu, qui sera utilisé jusqu'en mars 1946, pour l’internement des Allemands et des suspects jugés « dangereux », soit plus de 8 000 personnes en Moselle. Alors que l'Opération Nordwind de l’armée allemande déstabilise les troupes américaines, et inquiète les populations civiles en Moselle, la France annule les mesures prises par le Reich en Moselle, le 12 janvier 1945. Le 4 février 1945, Philippsbourg est repris par les Allemands et des FFI sont arrêtés. Le département ne sera entièrement libéré que le 21 mars 1945 par l'opération Undertone, après de durs combats, qui éprouveront autant les soldats que les populations civiles. L’armée allemande capitule à Reims le 7 mai 1945. Les dirigeants nazis sont arrêtés un peu partout en Europe. Le tribunal international de Nuremberg ouvre un procès qui durera de novembre 1945 à ocotbre 1946 : il reconnaît l'« incorporation de force » des Malgré-nous, comme un crime de guerre, refermant la page de cet épisode tragique de l’histoire de la Moselle.
Lors de l'épuration en Moselle, la France prit en compte le statut particulier du département pendant la guerre. 4 178 jugements furent prononcés par la Cour de Justice de la Moselle. Sur ce nombre, il y eut 859 acquittements et 3 243 condamnations, dont 28 à la peine capitale, 288 aux travaux forcés, 952 à des peines de prison. Sept exécutions sommaires seulement, ont été à déplorer sur l’ensemble du département. Au sortir de la guerre, le bilan humain est très lourd en Moselle. Aux soldats mosellans morts pour la France entre 1939 et 1945, ou pour l’Allemagne entre 1942 et 1945, il faut ajouter des milliers de civils qui périrent dans les camps d’extermination, ou sous les bombes des Alliés. La population mosellane passa de 696 246 habitants en 1936, à 622 145 habitants au recensement de 1946, soit une perte de plus de 11 % de la population. Pour réparer les dégâts provoqués par l’annexion et combler le déficit de main-d’œuvre en Moselle, pas moins de 26 000 prisonniers de guerre allemands participent dès 1945 à l’effort de reconstruction en Moselle. Appréciant la force de travail de cette main d’œuvre disciplinée, notamment dans les mines, les élus locaux obtiennent, en juillet 1947, la possibilité d’accorder un statut de « travailleurs libres » aux prisonniers de guerre allemands, malgré les fortes réticences de Paris, qui craignait un nouvel apport de population germanique dans les anciens territoires annexés. Un an plus tard, le gouvernement Schuman étendit cette mesure libérale aux anciens nazis, cadres du NSDAP ou Waffen-SS. Une page douloureuse de l'histoire mosellane se tournait définitivement, pour laisser place à des relations franco-allemandes apaisées, placées sous les auspices de l'Europe.